Lune Je me souviens

Je me souviens, je suis encore jeune, une petite trentaine fêlée quelques jours avant le grand départ. Je pars assez content de moi, fier de faire partie de l’aventure. J’ai oublié les ultimes journées sur terre : elles sont consacrées à nous préparer, menteusement et physiquement. A peine s’il me revient des images d’entraînement verbeux et d’exercices en pois de senteur. Je sais que le départ va être fulgurant et que c’est sans doute au moment du lancer de la fusée que nous serons le plus en danger. Je suis comme détaché. A part mes parents, je n’ai pas d’attache ici-bas qui me retienne. Le célibat me va. Je me réveille longtemps après le décollage. A croire que cette fusion qui décide de l’envol est muette pour moi. J’ouvre les yeux sur mes collègues qui, déjà ou encore réveillés, planent autour de moi. Je défais ma ceinture qui me colle contre ma couche. Ce flottement qui s’empare de moi est grisant et crissant de miettes de plaisir. J’oublie la terre et ses attractions. A nous la lune !! Oui la lune. Non, non, pas mars. La voie vers mars est devenue un vrai boulevard. C’est surfait de s’y rendre. Tous les deux pavés flottants, une empreinte emprunte le profil d’un quidam passé par là. Dans leurs scaphandres, les piétons sont gris-dicules. La paille enfilée dans le casque les alimentent en milkshake façon voie lactée. La saveur n’est pas au rendez-vous. Je me souviens lors de mon premier vol vers mars, je ne suis pas rassuré mais je frime : la voisine, un joli p’tit lot de 16 ans, est plus paniquée encore que moi. Alors je lui fais l’article, comme si mars, j’connais par cœur ! Elle n’est pas dupe, mais elle aime être la traction. Alors pendant qu’elle fait des cascades dans le vide, je la gonfle d’histoires improbables qu’elle fait mine de goûter bien plus que la fadeur de mon propos ne le demande. Elle est brune à bouclettes et ses accroche-cœurs s’évertuent à retenir le mien. Sans succès. Un baiser apaisé cèlera nos rapprochements furtifs. La cabine est trop étroite pour s’emboîter dans d’autres figures érotiques. Je me souviens, je trouve ça presque dommage mais du haut de mes 14 ans, je me satisfais du résultat tout nu obtenu. Sur ce vol vers la lune, rien ne viendra perturber ma concentration et mon impatience. J’ai pris garde de me détacher de toutes mes compagnonnes de vol : non pas qu’elles me déplaisent mais sur ce voyage je les trouve moins attirantes. Le charme n’opère plus ou guère. Et puis le trajet est plus direct. Je ne veux pas en perdre une miette. Les yeux ronds comme des billes, je scrute la nuit. La lune est très en beauté. Empoté je me souviens, rousse elle en chamboule plus d’un. Je pars pour la lune comme tu partais pour Constance ou Côme, pour faire un break et me poser les bonnes questions. Ecrire aussi, je n’omets pas d’actionner la puce enregistreuse greffée sous le lobe de l’oreille. Toutes mes pensées seront passées au filtre de mon langage. Et pourtant, je ne pars pas sans une mission sœurette. Rocks Anne m’a confié les chausses de Cyrano qui bêle en vrac. Je veux m’efforcer de leur faire honneur en la décrochant. La lune. Juste une nuit et au matin, je la raccrocherai car elle ne me servirait guère si rousse et dodue qu’elle soit sur la planète Terre. Anne l’aimera oui, une nuit. Mais elle la chercherait en vingt et vain au creux de ses nuits.

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