ANOU K

 J'ai 10 ans.

Je sais que c'est pas vrai.
Mais j'ai dix ans.
C'est pas vrai, j'ai vécu tant d'éclosions de fleurs.

Avant,  mes pieds touchaient la terre.
Je marchais dans la boue.
Mes yeux, couleurs de chêne, se levaient pour voir le bleu.

Maintenant je suis dans le bleu, je flotte et j'ai dix ans.
Même si c'est pas vrai.

Ma mère, quand elle m'appelle dit Anou-k A nous... K.
Ke veux-tu ? Kue fais-tu ? K'est-ce Ki se passe ?
ANOU K

Mon père ne dit rien.
Il grogne. C'est un grognon. ou un grogneur.
Il ne sait pas pourquoi.
Il imite. il singe.
Ou il est de mauvaise humeur.
Il grogne. C'est tout.

Je suis grande comme... moi.
Papa a mis un coup dans l'arbre juste à  ma hauteur, dans le tronc.

J'ai deux pieds, deux mains.
J'adore mon nez, je veux dire j'adore sentir par mon nez.
Le vert sent le mouillé.
Le bleu sent le soleil.
Le rouge sent les baies avec maman ou la viande avec papa.

J'ai les cheveux le long de mes joues où le vent souffle, de l'air. Des airs.

J'ai dix ans. Dans cette dent que tu as trouvée, j'ai dix ans.
Pour toujours. Hier et demain. Et le demain de demain.

Ma voix pépie comme les oiseaux, on dirait qu'elle est au sommet, de la plus haute cime.
Ou alors elle cailloute et chantonne comme le bruit de l'eau sur les pierres dans le ruisseau.

J'aime ma langue sur les dents, il y a des bruits qui claquent, qui chuintent.
ça fait du sens.
Le sens, c'est quoi.
Comme papa qui tue le bison pour que je le mange.
C'est ça le sens. A peu près.

Tu sais que j'ai dix ans. Parce que j'ai perdu ma dent.
Celle que tu as trouvée.

Le bison avait cuit longtemps.
Le feu avait brûlé longtemps.
MAis l'os ne cuit pas.
Ma dent l'a appris qui a mordu dessus.
Et le sans du bison avec le sang mien dans ma bouche se mélangent. Un goût étrange.

Maman me donne une feuille verte et un petit clou de bois à mordre.
La dent ? Je l'ai cachée sous ma peau de bison.

MA peau qui est toute pointillée de tâches de soleil, ma peau à moi, je l'ai lavée, comme ma bouche.
Je n'ai pas pleuré.
J'ai juste rangé ma dent perdue.

Et puis au soleil  levant, je suis partie avec elle.
Je l'ai entourée de feuilles, de fleurs et de tiges et j'ai creusé pour l'enterrer.

Peut être qu'elle poussera.
Qu'une autre moi va grandir.
Qui aura dix ans en naissant.
Je sais.
J'ai dix ans pour toujours dans cette dent-là.

C'est tout ce que tu sais de moi.
Tout le reste, comment le saurais-tu ?
Mes cheveux blonds et longs. Mes yeux verts. MA bouche couleur baies roses. Que devines-tu de moi ?

Quand je reviens ce matin-là, avec ce trou dans ma bouche, je la garde fermée. ça fait des courants d'air. Je n'aime pas ça. 

Maman sourit en coin. Elle ne me croit pas, elle me prend par la main et m'entraîne jusqu'au foyer du centre.

De son sac en bison qu'elle avait attaché à la taille, elle sort des merveilles.
J'ai les yeux qui me sortent du visage et les joues aussi chaudes que lorsque je suis près du feu. 
Les formes qu'elle sort de son sac sont arrondies et dentelées. Des kok. Des coques. 
Je les regarde de tous mes yeux. J'en prends une et la frotte contre la peau de ma main.

Je vois maman que en attrape une: elle fait une boucle avec un fil, une ficelle, une corde, à l'autre bout, une autre kok qu'elle noue.
Elle pose les koks et le fil sur mon cou.
Elle sourit.
De la lumière dans son visage éclaire et éclabousse le jour.
C'est beau. Bravo.

Et ce collier ? tu l'as trouvé ?

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