Vases Communicants: Robert-Henri Duru
Et soudain un
sourire…
La nuit s’annonçait triste et
morne. C'était une de ces nuits où tout comme les gens qui s'embrouillent, les idées endeuillées se
bousculent sans s’excuser. Marc était entré par hasard dans ce bar de la rue
Monsieur le Prince. Il commanda un demi et s’installa sur les ressorts épuisés
d'une des banquettes de cuir en détresse. L’atmosphère enfumée semblait vouloir
se joindre à l’image floue qu’il se faisait de son avenir: Sara l’avait quitté
pour l'amour d'un destin qui n'était plus le sien…, alors son monde à lui avait
basculé dans le vide du non-sens.
Oh certes, Sara était à peine
plus qu'une amie d'enfance au visage d'ange orné de cheveux blonds et bouclés
comme la toison d'or. C’était un être mis à part dans le journal naissant de sa
vie. Una âme-sœur à qui il s’était toujours confié. Mais comme l'aurait fait un
messie crucifié dans son berceau d'osier négligemment posé entre les renouées
sacrifiés par une mère indigne…, et ce jusqu'à son adolescence.
Quand son corps coudrier commença à hésiter
comme un pendule démesuré. Sa passion trop longtemps contenue par les nues et
les récits d'Endersen, était retombée sur lui en pluie de diabolo menthe à la
saveur salée. Liquide fraîchement bienveillant coulant par émotion sur les
joues, qu’il trouvait un peu trop saumâtre à son goût. Son amourette, il
l'aurait voulue connaître comme on savoure le baiser puéril d'une enfance
renversée. Alors il ne pouvait se faire à l’idée que Sara allait se marier
bientôt à un autre que lui qui l'avait toujours aimée en secret.
Marc porta le bord de son
verre à ses lèvres, mais l’amertume de la bière s’insinua aussitôt jusque dans
son cœur nostalgique: un cœur esseulé et timide de jeune homme trop
romantique... Un cœur de poète plus blues que rocker... Dans l'intérieur duquel
bouillonnait celui de Rimbaud. D'ailleurs, il était décidé comme lui à défendre des idées qu’il avait à peine
vérifiées, mais qu'il concevait lors de rêves itératifs déclencheurs. Comme
Arthur sillonnait les murailles de Mézières, il survolait virtuellement les
ruines d'une enfance qui ne resterait qu'un projet bâclé, l'avant-propos d'une
vie pas encore construite, dont déjà les pierres du bonheur lui paraissaient
inéluctablement rongées par l'intérieur, comme dans un ventre froid. Pourtant
rien ne destinait Marc à devenir contestataire. Tant s'en fallait! Mais il avait
envie de chausser les mêmes semelles de vent que son idole de poète écrivain
explorateur déjà d'un autre temps que le sien. Alors ce soir-là, il se créait
des ailleurs, un autre monde, parallèle à celui présent, mais d’une autre
dimension, et dans laquelle les rêves d’adolescents sont encore accessibles aux
adultes.
Le destin d'une vie,
correspond certainement à un ordre profondément susceptible, car à force d'en
vouloir connaitre le sens ou la cause, l’on finit par être quelque peu paralysé
psychologiquement et religieusement de la même manière, que l'univers pouvait
l'être aussi avant l'évolution de la connaissance physique et l’application des
mathématiques abstraites. Et donc, les pas hésitants de l’esprit humain
cartésien, continuent de "buter" sur un mystère inexplicable, ou suffisamment
abstrait qui échappe à toute analyse scientifique rationnelle sinon en apagogie.
Mais qui sait ? Peut-être pas à Lucien, car, en d’autres termes plus
généralistes, pour que l'amour généreux, celui de quelques-uns et de
quelques-unes, de tous ces êtres qui sur Terre y croient encore, même si c’est
de différentes manières…
Son regard vaguement
contemplatif semblait maintenant s’extasier devant le contenu de son verre,
comme s’il s'attendait à ce que le liquide jaunâtre et mousseux allât se muer en une coulée d’or transparent…
Sa pensée délirait doucement au rythme des bulles échappées qu'il s'imaginait
lave crevant la surface d'une mer prisonnière. Aux yeux du poète, c’était comme
si rien ne pourrait contenir l’esprit fuyant du breuvage…, pas plus que le sien.
Marc aurait voulu s’enfuir
lui aussi de cette façon, rejoindre l’éther pour y patauger à jamais, ou
découvrir une autre planète. Ne plus rien ressentir que l’osmose d’une forêt
peuplée d'essences animées et dansantes. Vivre l'ivresse éternelle parmi des
muses qui seraient amoureuses des humains. Ou encore méditer sur une île au
sable argenté, nu, comme un solitaire enchâssé. Ne rien entendre que le chant
des baleines, et surtout pas cette musique de sauvages que diffusait le
juke-box! ….Création dissonante d’un tumulte de sons destinés à être consommés
par l’immodération d’une société dévoreuse de produits audio lamentablement
périphrasés, et qui le renvoyaient à préférer son amertume bien à lui, celle
d'un garçon trop romantique, dont la naïveté poétique ne pouvait que se
désenchanter. Tiens ! Parlons-en de sa poésie ! Dissoute qu'elle était par
l’individualisme contemporain ! Comme sûrement avalée par l'acide d'un reflux
œsophagien... Non! Sa pensée à lui était cristalline, légère, comme la voix dans
son oreille…, sibylline, imaginaire, et qui par-dessus le vacarme lui répétait
inlassablement la chanson du phoque blanc:
- « dors, mon baby, la nuit est
derrière-nous … ».
Mais dans l'histoire que vivait
Marc, ‘Le livre de la jungle’ s’était refermé depuis longtemps, seuls les loups
étaient entrés dans Paris! Et alors, comment pourrait-il à présent y rencontrer
une tendre égérie?
Pourtant, celle qui comme lui
souhaitait que le monde fût autrement plus serein que sa triste absurdité était
bien vivante, réelle… Et derrière lui !
Jolie brunette de vingt fleurs,
seule, attablée devant son café froid: Martine le regardait depuis un moment, et
bien que Marc lui tournât le dos, elle voyait son image inversée dans le tain
flétri à l’opaque d'un très vieux miroir. Par ce chiche ornement du mur opposé
lui faisait face un portrait noyé du poète, représentation qui le renvoyait
comme la vague concomitante s’active dans un océan de pensées
moroses…
Et puis, la voix nostalgique de Marc
qui s’était mis à fredonner lui parvint doucement:
- « Dors, mon baby, la nuit est
derrière nous, et noires sont les eaux qui brillaient si vertes »...
- « c’est joli ! » Ces mots sur les
lèvres mouillées de Martine avaient fusé spontanément !
Le jeune homme Surpris se retourna, et
soudain… un joli sourire éclaira son beau visage…
Robert Henri
D.
http://lespritdanslencrier.forumzen.com/t649-texte-propose-par-christine-leininger#5501
Merci à vous de m'avoir publié.
RépondreSupprimerRHD