Comme une vague

Je suis sortie de mon phare, les yeux humides, grisée et ébouriffée par le vent et avide de briser le cercle qui menait mes pas toujours en rond. Je cherchais à pousser sa porte depuis longtemps. Mes pauvres bras encombrés de mots sous lesquels se cachaient mes maux ne suffisaient pas à pousser cette lourde porte de fer rouge. J’ai cherché des biais pour en sortir. Des fenêtres, des clés, de l’énergie. Parfois je croyais y parvenir. Mais elle retombait sur ses gongs. De toutes ces tentatives, je n’en retiens finalement qu’une, celle qui m’a fait sortir pour de bon. J’ai rempli un dossier de demande de cofinancement de formation. Rien de bien marin… Un acte très administratif qui m’en a coûté beaucoup. Difficile de mettre en mots studieux et froids tous ces soupçons d’envies, ces débuts de révolution… Entourée de bienveillance, chauffée par le soleil de tant d’affection, j’ai tourné la clé dans la porte du phare : j’ai rédigé et déposé le dossier. J’ai pris ce bateau que je voyais de loin, dans lequel je m’étais embarquée un week-end à Paris pour tester mes facultés de capitaine… J’y avais beaucoup tangué, malmenée par le vent et mes émotions pas très stables et entamées… plus tard après moult réflexions entre autres tumultes… j’avais parlé de ce devenir possible à des proches, inspirant même des vocations… J’ai repris ce bateau donc sans trop de convictions mais animée, vivante de ce projet, de cette possible destination, une formation professionnelle d’Art-thérapeute. J’y voyais la belle bâtisse, ce bois peint et courbé… qui donnait au bateau ses formes arrondies… et je me voyais, caban sur le dos et casquette sur la tête, à la barre. Mais je me disais que je ne disposais pas des compétences d’un bon capitaine, que je n’y connaissais rien, que je n’avais jamais été que gardien de phare… Regarder les gris de la mer se transformer en verts puis en bleus sous le soleil malingre des journées d’hiver, compter les oiseaux qui piquaient sur les rochers avoisinants, humer le vent, me laisser fouetter le visage par les embruns, regarder passer les bateaux sur les lèvres écumeuses des vagues, c’est un peu tout ce que je savais faire. Ce que je ne soupçonnais pas, c’est que j’allais être entourée de tout un équipage et que j’allais apprendre à prendre le pied marin, à lire des cartes marines, à utiliser une boussole et un compas pendant plusieurs mois, voire années. C’est comme une vague… qui est venue d’abord faire tanguer ma barque. Cette première vague, qui m’a entraînée en pleine mer, ça a été l’accord du co-financement de cette formation en art-thérapie. Ça a été une vague de joie, profonde, qui venait de loin. En piètre capitaine que j’étais alors, je me suis laissé tournebouler et mon bateau a presque chaviré. Mais je me répétais : ce qui compte, ce n’est pas l’eau, ce qui compte c’est de ne pas laisser entrer l’eau dans le bateau : pas de lame, pas de larmes. Si ce n’est brèves, de joie ! Depuis les vagues et les coups de vent se succèdent et s’enchaînent… je m’accroche à ma barre, je vire de bord quand il le faut, je prends mes mesures et je guide ce voilier, maladroitement bien sûr mais j’ai au cœur la certitude d’avoir pris la bonne décision, un bon départ. Et je savoure les embruns, la houle qui me fait tanguer et les couleurs de cette masse d’eau si impressionnante. L’essentiel étant de ne pas me laisser déborder par mes angoisses, mes appréhensions et mes émotions, je garde le cap. Et je regarde au loin ce phare qui a si bien su me protéger et me renforcer et qui désormais me sert de repère. Et je serre dans le fond de ma poche et de mon cœur la clef qui m’a fait sortir.

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