Variations: Des première fois

Variations 1 L’oiseau rouge pousse un cri saignant comme sa couleur. Qui déchire le silence velouté du ciel. Sous la branche, j’accueille la douceur des premiers pétales sur mon visage rosi. Le soleil a brillé si fort en ce printemps fait jour. Dans le creux de la main, que je passe légère au sommet des brins d’herbe, il y a la fraicheur humide et douce. Allongée sur un drap blanc épais, je fixe le bleu entre les fleurs. Ces heures de fin d’après-midi en Bavière me reviennent comme chargées d’un parfum frais et vivifiant. Partir est une vanité. L’oiseau rouge vient clencher cette porte blanche des réminiscences. Je ne me souviens plus de ce que nous buvions ou mangions mais tout était délicat et frais et vif dans la bouche et me laisse une tendreté au cœur. Frêle, oui frêle, je sens le frisson prendre goulument possession de ma peau pendant que les yeux perdus dans le fond du ciel je vois des rondeurs laiteuses traverser le ciel. L’oiseau rouge, un brin d’herbe dans le bec, vole à grands coups d’ailes. Au loin le blé déjà monte un peu et l’eau si proche qui coule le long du champ pousse une libellule jusque sur une longue tige qui borde le ruisseau. Je déchiffre les schémas en transparence sur les ailes de la libellule qui deviennent peu à peu des récifs que mon regard cherche à éviter comme autant d’écueils. Elle est auréolée d’un violet qui sent bon le printemps et ses douceurs sucrées. L’oiseau rouge dans un sifflement se pose sur une branche moins dénudée que d’autres. Entourée de ta jupe de tulle rose, tu es enveloppée d’une sphère transparente et impalpable mais qui dessine une courbe aux vents qui pour t’éviter dévient de leurs trajectoires et soufflent autour de nous des chuchotements chantants quand tu prononces des mots-valises et des mots-fleurs qui prennent existence sous nos yeux. A main levée, esquisse d’un plumage rouge sur fond bleu asiatique maculé de pétales blancs. Quelques notes tirées des cordes d’une guitare, comme des gouttes éparses qui dessineraient un motif, invitent nos mémoires à se souvenir. Une colline oui, mais pas de maison bleue. Les rengaines sont anglaises ou américaines. De « Let it be » à « Imagine », en passant par « San Francisco », les mélodies se délient mieux que les langues. Variations 2 Du plumage rouge sort un bec effronté sous un œil noir. La première fois que je vais loin là-bas, à l’autre bout de nous, c’est l’hiver. C’est la douceur de l’air qui me cueille. Il fait nuit, nous avons roulé longtemps et avons cherché notre chemin en arrivant sur de petites routes de campagnes où nichent dans les virages des maisons plus rugueuses mais accueillantes les unes que les autres. La tête enfoncée dans son cou, il observe muet. La maison basse est rustique mais elle offre toutes les commodités avec des airs de vieille Angleterre. Les pieds sur le tapis chaud à côté du feu de cheminée, je feuillette des listes griffonnées à la main d’une écriture minutieuse et pénible. Mes narines se réchauffent à l’odeur dépaysée du pâté lorrain. Pas un son, pas un bruit. L’oiseau doit dormir la tête sous son aile. Au matin doux encore, le silence ouateux accompagne un réveil tardif. Le jour se lève à peine mais à l’horloge de la cuisine, je découvre que la matinée est déjà bien entamée. Autour de la table du petit déjeuner, le pain chaud et deux sourires m’attendent. Quelques petits oiseaux volètent devant la maison. Dans les ruines, un jardin bienveillant bien vivant. Préparés à l’éventualité de pluies, nous voilà partis jusqu’à un port discret à marée basse. Nous arpentons les pavés mouillés et suivons la flèche qui nous emmène jusqu’à un chemin. De là, vue sur une île et un désert de rochers ambitieux et roses. Un cormoran debout au loin lève une tête. Des blocs s’amoncellent et longent la mer et le chemin. Contre lesquels les vagues cognent leurs écumes et des serpentins d’eau salée se faufilent. Le chemin disparait quelque peu et ce sont les roches qu’il faut prendre pour guides et enjamber en évitant de glisser pour contourner la côte et déboucher sur une plage et son saint, celle de Saint-Guirec. L’oiseau rouge est inexistant. L’après-midi, nous longeons le chemin des douaniers plus au nord encore. Jusqu’à parvenir en évitant les arrêtes de certains blocs et en dévalant d’autres sur un rêve de plage de sable blanc. Et juste au bout d’un gué que l’eau recouvre à cet instant, il y a l’île aux lapins, prisée par notre hôte absent. Le rouge flamme est lui déjà présent. Au bout de la plage, la grève blanche, un sursaut de sable clair où se reflète dans les vagues qui lèchent ce blanc le jaune d’un soleil couchant qui va s’embrasant. Les brisures de coquillages ramassées, les senteurs marines respirées, les mains rouges de froid agitées, je collectionne dans un tiroir de ma tête ces petits bouts de rien qui ont fait ton chemin en moi Trégastel. Variations 3 Une plume rouge tangue lentement en descendant le ciel. A mon arrivée, je suis prise par une chaleur inhabituelle pour ce mois d’avril. Je prends un tramway qui m’emmène jusqu’à la vieille ville. Je tire ma valise comme le poids de mes insatisfactions et soucis. Une petite montée et un affichage de chambres à louer attirent mon attention et mes pas. Je m’engouffre dans la petite entrée. C’est là que je réalise que je n’entends plus l’eau couler. Des chants multiples dégoulinent des arbres. Je monte la rue où j’ai trouvé logis qui débouche sur un sentier sablonné. Je marche dans les odeurs et serpente jusqu’au premier jardin que je devine à son chant : une fontaine y coule : quand j’entre dans les allées, les couleurs vives et chantantes me saisissent le cœur. L’oiseau tu se cache. Le découpage des façades intérieures du palais et leurs mosaïques donnent de la minutie une impression grandiose. Sillonner d’une salle à l’autre sur les dalles fraîches avec soit un silence délicat soit le bruit coulant de l’eau donne des accès de fraîcheur sous le soleil déjà excédant. L’oiseau rouge ne dénoterait pas dans ce dernier jardin. En me penchant depuis ce jardin, j’aperçois les façades blanches du quartier d’en face. L’après-midi même, j’y grimpe et découvre les sons de guitares pleurantes en provenance d’une salle basse. Aux sources du flamenco, les gens se noient dans leur désespoir et l’alcool qui tous deux se déversent à flots. Le rouge est celui de la chemise. Sous un amandier, je m’assieds et bois un thé glacé en laissant mon oreille danser sur cet accent où les r sont mangés. Un échange se tisse. Et nous voilà en route vers une source chaude où se baigner, des tapas à grignoter, un pique-nique dans la Sierra Leone, une soirée en l’honneur de Pablo Neruda. Rouges sont mes yeux, l’oiseau-là n’est pas encore là. Au matin très tôt, je dévore une tartine beurrée en saluant les uns et autres, je me sens moins guiri qu’aux débuts. Mais le bus m’emporte loin des eaux de Grenade et me laisse seule avec mon lot de souvenirs.

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