La chaise est de travers

La chaise est de travers, en biais par rapport à la fontaine. Elle a une assise profonde et des accoudoirs. On la trouve à Paris, toujours dans ses parcs et jardins. Celle que je pousse un peu pour la remettre en face de la fontaine et de sa bruine bienvenue se situe dans les jardins du Palais Royal. Il est midi, j’ai rendez-vous là avec mon frère. Il apportera des sandwichs au Comté et au San Daniele et du faux jus d’abricot dans une bouteille d’eau. En passant par l’entrée latérale, je suis tombée sur des bleus de Chine qui dessinent dans l’air et de leurs corps de fines arabesques. Cette chorégraphie matinale soulève mon cœur d’une légèreté que la pratique du Tai Chi m’a permis de conforter. Il fait maussade et je suis d’une humeur grise. Entre les colonnes de Buren, je regarde si je le vois, l’homme. Quel homme ? Et bien vous devez déjà l’avoir vu, dans son pardessus, il se déplace les bras en croix recouverts de moineaux et mésanges qui volettent jusqu’au bout de ses doigts qui tendent des croutons de pain que les oiseaux picorent. L’homme aux oiseaux. Chaque samedi je le cherche et le trouve avec ses ailes multiples. L’autre nuit j’ai rêvé qu’il s’envolait et survolait Paris. Il a dû atterrir sans accro car je le retrouve ce matin. Le ciel maussade est une chance, il y a moins de chaises occupées autour de la fontaine. Je m’installe dans l’un de ces sièges, celui que j’ai poussé pour mieux regarder l’eau jaillir et JP arriver. Ou devrais-je dire JF comme aimait à l’appeler l’un de ses amis ? Je suis d’humeur grise car sur mon cœur pèsent les affres des mauvaises relations au travail où je chéris néanmoins mes missions. Mon cœur est terne, ma voix voilée, je la perds souvent. Mon frère me soutient, me porte même. Lui aussi parvient à alléger ce cœur si lourd et foncé. La pénibilité des choses est intense. Je savoure mal Paris. Tout est faille : le couple qui s’enlace, l’enfant qui rit aux anges, le rayon de soleil dans les vitraux de l’Eglise Saint-Etienne du Mont. Je vois la beauté sans la boire ni m’en nourrir. Elle fait miroir contrasté à mon sentiment de déréliction. Non, rien ne va à Paris. Ces années sont passées mais pas perdues. Je garde à l’esprit leur souvenir que je réchauffe de ma présente sérénité. Le pas triste, nous longeons le Nemours avant de rejoindre la cour du Louvres où nous prenons le bus pour rentrer en jetant un dernier coup d’œil sur les Tuileries et le carrousel. Paris est loin de mon quotidien. Mon frère aussi. Je ne saurai jamais lui rendre tout le bien qu’il m’a fait, lui qui m’a sauvé la vie en vrai par deux reprises. Lui à qui j’aurais donné la mienne plutôt que de le voir malade ou diminué. Mais cela n’existe pas, ne se réalise pas. Donner sa vie à quelqu’un même si c’est son frère, ce n’est pas possible Ce matin je pense à lui. A tous ces beaux moments passés ensembles que je n’étais pas en capacité d’apprécier à leur juste mesure. Il m’a sauvée et donné le goût, la saveur des détails. Je pense à lui, sur sa table d’opération et je lui envoie toute l’énergie et la lumière intérieure dont je vibre grâce à lui. Certains ne connaissent leur ange que tardivement. Moi j’ai connu le mien presque toute ma vie et je ne l’ai reconnu que tard mais je lui dois plus que la vie. Je lui dois la joie !

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