Et mon imaginaire

Traverser la frontière, sortir de mon bout de terre. Passer la porte, quitter le cercle de mes murs. M’aventurer sur Märket, rejoindre des vivants. Je me présente, je m’appelle Thomas Tick, mais on m’appelle O’Thomas Tick. Personne ne me connait. Je suis le gardien du phare. Le phare O’Thomas-tisé. Ne me demandez pas d’où je viens, avant 1981 le phare est construit en Finlande mais en réalité côté suédois, ce qui fait de moi un fin-doigt puisque je suis né en 1980. Moi j’habite la roche de l’île et le phare. Mon métier c’est d’éclairer et de tourner régulièrement pour diriger les bateaux qui s’approcheraient trop de mon île. Je suis vraiment moteur dans cette aventure. C’est moi qui impulse le mouvement giratoire de la lumière du phare. De là, j’ai une belle vue sur la mer Baltique qui tient son nom de son air pincé et franc-tireur. La mer Baltique est un sacré personnage. Je veux vous la présenter. Grise l’hiver, elle émousse ses vagues d’écume blanche quand le vent vient la défriser. Elle est tout sauf plate, sa houle et ses vagues lui construisent des sommets et des vallées. Froide et humide, elle peut sembler hostile mais au moindre rayon de soleil l’été, elle se pare de turquoises, bleus et verts, et retrouve des manières de jeune fille en regagnant des plateaux où les vagues écrèment à peine la transparence de l’eau. Quand elle cogne l’hiver contre le phare et sa roche d’île, je ne sais qui est plus sombre de la roche ou de l’eau fougueuse qui claque ses élans contre les aspérités qu’elle dévore goulument. Plus bas, au sud, elle vient lécher les plages allemandes ou polonaises où le sable fin et clair héberge des corbeilles d’osier blanches où se réfugient des autochtones emmitouflés avant d’y arriver et déshabillés dans cette protection contre le vent où le soleil darde ses rayons qui aiment à se lover sur les peaux encore blanches, comme les corbeilles. Les champs derrière les dunes, au mois d’avril, prêtent leur terre noire aux oies qui par bans entiers caquettent au vent. Par ici, vaste site Ramsar, les oies ne passent qu’au loin dans le ciel. Je me délecte des cris grincheux des mouettes et grincements émis par les phoques. Unique fin-doigt au monde, je ne partage mon île qu’avec le pays voisin qui au fil des siècles a varié. Telle une indécise, l’île se laisse partager par une frontière et donne son ying à la Finlande et son yang à la Suède. Mais vous pouvez m’appeler Tom, je suis pas comme ça. J’ai des tics et des tocs. On ne devient pas l’âme d’un phare sans se scléroser et se répéter. Mais ma vraie vie intérieure, c’est celle qui passe par les vitres, mes yeux. Et mon imaginaire.

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