La pierre sous les doigts est glacée...


La pierre sous les doigts est glacée, j’avance à quatre pattes, presqu’allongée sur ce toit de pierre, au-dessus du vide. A ce niveau-là ce n’est plus du vertige. L’appel du vide est tellement fort qu’on y plongerait. Sans hésiter. Ou presque.

Une fois assise je sens mon jean qui prend très vite la température de la pierre. Je ne m’éterniserai pas là-haut. J’en fonce un peu plus mon bonnet et bouge les doigts pour leur éviter de se transformer en glaçons. Le vent est lui aussi glacé aux joues. Les amis allemands et moi ici réunis, nous profitons désormais de la vue depuis le Pont du Gard. Je les vois sourire, se parler allemand, une langue que j’ai appris longtemps mais que je ne sais pas pratiquer.

Et puis le sourire gourmand d’Heidi qui cherche ses mots. Elle prononce les mots qui vont m’ouvrir une nouvelle vie. Je ne le sais pas encore. Et comment le saurais-je moi qui ne parle même pas la langue de ce pays plutôt hostile dans mon regard… ?

Heidi qui m’annonce, en soufflant sur ces doigts, qu’elle va se marier avec le grand Sam que je connais à peine mais qui me croit obsédée par les hommes. Cette bonne nouvelle précède la demande qu’elle veut me formuler : si je veux bien être témoin à son mariage. Je ne saute pas de joie mais le cœur oui ! il fait des bonds pendant que je m’écrie : OUI !! dans toutes les langues.

Le premier séjour, en septembre avant l’été du mariage, je me promenais dans ce village comme dans un parc extraordinaire truffé d’animations et où tout était permis. Aller dans les bars, manger n’importe quand et n’importe où,  acheter des fleurs pas chères, jouer aux dames dans les cafés. Il y avait une notion de confort et de confiance. Et un léger vent de folie.

Heidi riait de mon enthousiasme. Et j’adorais son petit appartement où elle m’accueillit si chaleureusement.

Sam venait parfois nous rejoindre mais lui ne parlant pas français et moi pas l’allemand la communication tournait autour de mes « Mais non ! » qui sonnaient comme autant de « Männer » à ses oreilles, pluriel de Man qui veut dire « homme ». D’où ce faut malentendu entre nous qui a occasionné de nombreux rires.

A la sortie de mon adolescence, au début de ces années qui vous forgent tant en tant qu’adulte, j’ai connu la joie du tout possible, tout permis dans un pays qui ne me connaissait pas. J’ai baigné dans la liberté et ses petits plaisirs.

L’année d’après, le rêve s’est prolongé. Le tout possible m’a offert un job pour l’été, des collègues adorables qui ne demandaient qu’à m’apprendre leur souabe en échange de quelques mots de français, un petit ami grand et francophone. Je logeais sur mon lieu de travail et m’y sentais reine des lieux. Le mariage en blanc et rouge a été des plus drôles et délicieux que j’ai connus. Heidi sous son chapeau de paille rouge avait des cerises à ses oreilles. La joie était partout et mon petit boulot m’avait même préparée un peu pour ce bel événement en m’enseignant l’accent qui allait bien avec leur souabe. Avec mes imitations, je faisais beaucoup rire.

Quand l’été s’est terminé, je me voyais rester. Pendant trois mois j’ai tenté de trouver un poste d’aide-soignante pour donner suite à mon premier contrat, rien n’y fit. Alors, comme j’avais pris soin de ne pas interrompre mes études grenobloises, je suis rentrée en janvier pour les partiels et réaliser mon année de licence en six mois.  Je ne savais trop comment me projeter. Mon cœur battait là-bas très fort. Et puis j’avais eu vent d’un échange universitaire interrégional.  Je me suis acharnée sur mes notes pour me permettre de faire partie de cet échange. Et en octobre suivant je partais pour Stuttgart avec une co-étudiante, du nom de France.

L’accueil fut loin de celui escompté : nous vivions dans une sorte de cave dans une très belle maison à cheval sur le flanc d’une des collines de Stuttgart qui appartenait à un professeur d’art et sa dame qui nous avait à l’œil. Et puis l’argent n’était pas au rendez-vous. L’amour non plus : il avait disparu à la faveur d’un de mes séjours en France, sans laisser ni adresse ni numéro.

J’aurais pu oui, à la lumière de ce contexte, m’avouer battue. Je n’en étais pas loin. Mais ce que je connaissais de ce pays et de cette ville me mettait en confiance. Et puis je voulais « y arriver » et « seule ». L’idée de ne devoir rien à personne… et de marcher sur les pas de mon grand-père. Il venait de décéder peu de temps avant et j’avais découvert après mon premier séjour à Kirchheim unter Teck qu’il avait été prisonnier dans ce village même où j’avais prononcé mes premières phrases en souabe - hasard ?

« … I’m looser baby, so why don’t you kill me… » : Beck résonnait beaucoup dans la résidence universitaire où je pris pied finalement assez rapidement. Max Kade Haus, c’était un immeuble haut situé au centre, pas loin de l’université, plus précisément de la fac de Lettres et Langues, à côté de la Liederhalle. Les couloirs de Max Kade fourmillaient de toutes sortes de nationalités. Et au dernier étage, tous les mercredis soirs, la fête battait son plein. Les mojitos coulaient à flots et l’on y dansait beaucoup quand on n’admirait pas la ville depuis la terrasse. Stuttgart…

Ah Stuttgart c’était tout de même une autre paire de manches… Je gardais bien entendu un lien fort avec le joli village souabe où j’avais pris mes marques souabes et surtout avec Heidi et Sam et leur tribu. Ils étaient mon point d’ancrage, ma ressource…

Les premiers temps à Stuttgart, mélange de cours de français donnés à des enfants découragés ou à des adultes fanatiques, de cours de littérature pris, de petits jobs, de petites amitiés et autres amourettes et de moult déménagements…, les premiers temps à Stuttgart, c’est un patchwork de moments forts toujours mais difficiles souvent. Mais jamais je n’ai connu le mal du pays. En tout cas pas dans ce sens-là…

La claque je l’ai prise au retour. Après bien huit années passées en Allemagne, je décide de rentrer en France : sur ma liste de décision, trop de déceptions, trop de défis manqués et la famille dont la santé baisse ont raison de mes contre-arguments pourtant plus nombreux. Je pars en quinze jours. Après deux mois de recherche d’emploi, je finis par décrocher des entretiens. A Paris. J’y monte et prends le risque d’y rester pour y décrocher un poste. Ce qui se produit rapidement. Paris est plus rude que Stuttgart : une fois terminé le premier contrat, pas simple d’en trouver un autre. Et pas simple de financer ma chambre de bonne hors de prix. Je marche sur une corde raide. Et mon pays et ma langue d'adoption me manquent. Ich vermisse euch und das Lied von Hildegard Kneff wird mich immer begleiten: Für mich soll's rote Rosen regen, mir sollten sämtliche Wunder begegnen, die Welt sollte sich umgestalten und .... Il manque les pluies de roses rouges et Hildegard Kneff, Christoph Hein, Christa Wolf, Ingeborg Bachmann mais aussi Heidi, Sam, Astrid, Tami, Nico, ...

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