Vases communicants avec Sabine Huynh : Pull vert sous les doigts
Sous les doigts, plus grand chose de toi, sinon le souvenir d’avoir tenu tes cheveux. Tenu, oui, caressé aussi, avant, mais tenu également, le jour où tu es tombée. Ta queue de cheval attrapée au vol, le reste de ton corps hors d’atteinte. Tes cheveux, de l’or sous les yeux, du crin sous les doigts, comme ta peau, ambrée, râpeuse. Tu es tombée, j’ai lâché tes cheveux, de peur de te faire mal. Le mal était déjà fait : ton corps à terre.
Nous ne nous
sommes pas revus depuis. Je n’ai jamais répondu à ces mots que tu
avais griffonnés au dos de la photographie. Tu t’en souviens ? Des
carreaux, une vue baignée de soleil, une pelouse aux pieds d’un
arbre fruitier. Tu disais : « Je ne vois plus que le vert,
le reste est flou, mais le vert est là, celui de ton pull préféré,
es-tu dedans aujourd’hui ? Je sens encore les mailles sous mes
doigts, je les écarte pour toucher tes poils, ta peau. Tu me manques
tant. »
Je ne sais pas si c’est toi qui as
pris cette photo, si c’était ce que tu voyais de ton lit. Tout ce
que je sais, c’est ma surprise, en la sortant de l’enveloppe.
Elle était recouverte d’une fine couche de sable, les grains
crissaient un peu sous les doigts. Mais la mer était si loin. Je
n’ai pas compris et j’ai eu un peu peur. Puis j’ai lu et la
tristesse est venue, la colère aussi.
Pour chasser
les doutes sur lesquels je trébuchais assis, j’ai immédiatement
ouvert le tiroir de mon bureau et j’y ai cherché des images à
t’envoyer en retour, des clichés pour me rassurer moi-même. Mes
doigts ont extirpé celui du robinet, le robinet entartré que nous
voulions faire changer et pour cela, il nous avait fallu le prendre
en photo, nous comptions apporter la photo au magasin. Mais tu es
tombée.
J’ai
cherché des fleurs, des images de notre jardin que tu chérissais,
en oubliant que nous n’en avions pas, que tu n’aimais pas le
prendre en photo, tu pensais qu’il était trop beau pour être
capturé. Alors j’ai photographié ces pivoines à la hâte, le
basilic, la fougère en pot, le bleu céleste, pour te dire que nous
t’attendions. Je voulais t’écrire mais mon cœur ébranlé se
refusait à répondre.
Je ne sais
pas s’ils ont bien pris soin de toi là-bas, je ne suis jamais venu
te voir. Je suis tombé moi aussi, peut-être parce que je n’ai
jamais eu de pull vert. Saison après saison, suivre le cortège
incertain des certitudes, des lieux et des êtres.
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