Les titres (Eclats de livres)

Restons à la surface des choses. Les portes d'entrée que constituent les titres des romans de J. Franzen et de S. Huvstedt nous ouvrent des espaces d'attente très proches. Peut être d'ailleurs s'agit-il d'un seul et même lieu. Avant d'en franchir le seuil, regardons ces portes et écoutons ces titres.

Tout ce que j'aimais

Le "tout" nous invite à envisager une forme de globalité. Il indique que ce qui va suivre comporte un aspect "totalitaire" et entier. Mais il implique également que l'espace à venir est complet c'est-à-dire clos. Derrière cette porte sont rassemblés ensemble dans ce "tout" chacun des éléments qui le composent. Il n'en manque aucun. Ce "tout" va du premier au dernier de ces éléments, de ces bouts qu'il attache les uns aux autres dans une forme d'unité de sens (un sens que portent le verbe et sa forme conjuguée), qui court tel un fil d'un élément à l'autre. Telle une chaînette constituée de tous ces maillons auxquels elle donne sens en les ordonnant, les canalisants: chaque maillon tient à chacun de ses bouts, dans chaque extrémité l'extrémité d'un autre.

Arrêtons-nous. Posons là cet "extrémité de l'autre", rangeons-le pour pouvoir le retrouver plus tard.

Quel est l'ordre qui décide de l'appartenance ou non à ce "tout"-là? quelle est l'unité autour de laquelle se rallient les éléments de ce tout? quel est le sens qui relie et lie les particules les unes aux autres dnas l'espace de ce tout?

Le "ce" qui suit ce tout est, lui aussi, à lire plus qu'à entendre (en tout cas en français). Entendu, même s'il est bien écouté, il peut être mal compris. Je me souviens que j'ai pris connaissance de ce titre par l'ouie. Ecoutons cette homonymie que ces deux premiers termes constituent: [tu soe]. J'entendais "tout ce" et je comprenais "tous ceux". La suite de la proposition ne levait pas le voile sur ce malentendu, ce mal entendu. Le relatif "que" précise simplement la fonction que ce "tout" joue dans la proposition à venir. A savoir celle d'objet direct et non de sujet (tout ce qui /tous ceux qui). Le verbe n'en disait pas plus. Il fallait, tout en moins en tant que lecteur/auditeur francophone, passer par la lecture pour comprendre qu'on ne parlait pas ici de "ceux et celles que" (des humains, des objets animés) mais de "ce que", c'est-à dire des objets non animés. Le sens vient là encore effectuer un tri, une répartition.

Pour mémoire, le titre ouvre sur l'ensemble, au sens global et complet, des objets directs non animés de la proposition qui suit et qui implicitement ne peut être constituée que d'un sujet et d'un verbe qui viennent agencer et gouverner cet ensemble, ce tout.

La proposition dite principale, la voici: "j'aimais". Mon "je" à moi a envie de dire "ouaw". Le verbe choisi souligne l'entièreté du tout qui fait son objet. Aimer ne peut être qu'entier. Le sujet dresse ici une paroie entre cette proposition et sa négation. Le narrateur va évoquer derrière la porte de ce titre l'ensemble de ce qu'il aimait par opposition à l'ensemble de ce qu'il n'aimait pas. L'infinitude du tout et du "aimer" se heurte à la finitude du sujet qui est constitué d'une identité singulière, celle du narrateur, et à celle de la forme conjugué choisie, l'imparfait de l'indicatif. Entre ces deux paroies, ces deux "droites", court le cercle, l'ovale du tout, de l'ensemble.

Mais revenons au verbe: j'aimais". Il est au passé, l'action est donc révolue. Peut être que le "je" du narrateur n'aime plus ce qu'il aimait ou a aimé. On ne le sait pas, la porte du tire reste donc ouverte. Il n'y a pas forcément rupture ou opposition entre le présent et le passé (on ne lit pas "tout ce que j'aimais et n'aime plus" mais seulement "tout ce que j'aimais") mais, s'il y a des similitudes, le passé n'est pas le présent, il se différencie de lui, lui est autre.

L'auteur en fait un groupe en soi qui peut être mais pas forcément en intercation, en intersection avec le groupe du présent "tout ce que j'aime".

Cependant la forme passé choisie est celle de l'imparfait de l'indicatif. Ce choix n'est pas innocent. On n'entend pas dans "j'ai aimé" ce qu'on entend dans "j'aimais". Le passé composé indique que l'action est révolue et achevée alors que l'imparfait reste lui plus vague, flou moins tranché, moins décisif. Il porte en lui une notion de durée et d'indéfinition qui sont des traits de caractère qu'on peut qualifier de propres à la nostalgie.

Tout ce que j'aimais nous invite donc à entrer dans le monde d'un passé peut être pas si lointain que ça, peut être pas complètement révolu à la rencontre d'un ensemble de souvenirs sensés resencer l'ensemble des "choses" aimées pas le narrateur durant un laps de temps et à une époque indéterminée. Beaucoup de questionnements à l'issue d'une phrase qui annonçait pourtant beaucoup de certitudes.

Analysons maintenant le titre du roma de J. Franzen. Les Corrections

Nous avons là affaire à un substantif dans toute sa sobriété. Pas d'ajectif, pas de relative. Un simple nom. Enfin simple façon de parler.
(A suivre...)

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